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Photo du rédacteurConviviatrail

La fin d'une aventure pas comme les autres - récit de la picapica de raphaël Schouler

Un an après sa désillusion lors de la précédente participation, Raphaël Schouler, le fondateur de Conviviatrail, a pris la décision de s'aligner de nouveau sur la ligne de départ de la course réputée pour être la plus dure et la plus technique d'Europe. Récit de la PicaPICA du Challenge du Montcalm 2024!


 



L’an dernier, l’aventure s’était terminée avec 1h30 de retard sur la 2e barrière horaire (après plus de 32h de course).

 

Cette année, mon objectif majeur était de revenir et de terminer la PICaPICA. « Ce n’est pas un trail, mais une aventure montagnarde »

110 km et 11 500 m de D+ avec une technicité rare. « La course la plus technique d’Europe». 246 participants ont été sélectionnés sur dossier, départ à 5h d’Auzat. Tout va bien, je suis reposé, les entraînements sont là. Je suis frais et clair dans ma tête. Je pars tranquillement car je sais ce qui m’attend.

 




Ravito 1 : Izourt (14,8 km et 1800 m D+ / 900 m D-)

15 minutes d’avance sur le plan de course, il est 9h. Ma sœur et mon père sont là (3h de randonnée aller-retour pour accéder à ce ravito). C’est vraiment top et tout va bien.

 

Ravito 2 : Fourcat (26,3 km et 3100 m D+ / 1450 m D-)

Toujours 15 minutes d’avance. RAS, pour moi, la course n’a pas encore commencé.

 

Ravito 3 : Première base de vie (32,9 km et 4200 m D+ / 2800 m D-)

17 abandons à cette base de vie, 10h45 de course. Toute l’équipe est là, et ça fait du monde 😇 (Clément, Maureen, Julie, Ludo, Lauranne, Faustine, Patricia et Luc) ! Je sais que la portion qui m’a fait défaut l’an dernier approche. Selon mon plan de course, je vais passer 10h45 en montagne avec un seul ravito. Je prends presque 40 minutes pour me refaire une santé et c’est reparti. À la sortie du ravito, j’ai 30 minutes de retard sur mon plan de course. Je n’ai qu’une heure d’avance sur le même point de passage que l’an dernier. Ça devient déjà chaud.

 

Ravito 4 : Coma d’Arcalis (36,6 km et 5500 m D+ / 3300 m D-)

Plus de 14h de course. 12 abandons supplémentaires. La portion s’est vraiment bien passée. J’arrive avec 20 minutes d’avance sur mon plan de course, j’ai donc mis 50 minutes de moins que prévu sur cette section. Cette année, avec mon avance, il fait jour. On a décidé que mon équipe de choc ferait l’impasse sur ce ravito car les temps de route sont complètement ouf (5h A/R). Je prends vraiment mon temps au ravito et je m’arrête plus longtemps que prévu. Je repars avec 10 minutes d’avance sur le plan de course.

 


La redoutée: la Cabane de la Crouts (50,3 km et 6800 m D+ / 5000 m D-)

Plus de 22h de course. 30 minutes de retard sur mon plan de course. C’est mon plus mauvais souvenir de l’an dernier : austérité et froid. Eh bien, cette année… c’était pareil, mais avec 1h30 d’avance sur l’an dernier. Depuis le départ d’Arcalis, le moral est en berne. Je n’avance plus en montée et les descentes sont interminables. J’ai passé toute la première partie de la nuit en solo, sans presque voir personne, et comme d’habitude, ça pèse sur mon moral…


Presque toute l’équipe est là alors qu’il faut 1h30 de randonnée pour arriver. Je sais que j’ai vraiment de la chance, mais je n’arrive pas à relativiser mon état. J’ai suffisamment envie d’abandonner pour le verbaliser et je suis suffisamment mal pour tenir un discours négatif et sans filtre. Ça ne me ressemble pas, surtout devant ma famille. J’essaye de dormir mais pas moyen, ça cogite fort et j’ai l’impression de perdre du temps. Je ne suis pas suffisamment lucide pour m’appliquer mes propres conseils. Je finis par repartir accompagné de Faustine, mais c’est très compliqué.

 

Trajet vers le Ravito 6

J’ai besoin de dormir, mais je ne m’en rends pas compte à ce moment-là. 150 m de D+ par heure. Pour les non-initiés, un pingouin va plus vite en moonwalk… Énorme fracture mentale sur cette portion. La fatigue est bien présente, mais ce n’est pas tout. J’en ai marre… Marre de souffrir, marre de devoir lutter contre ces foutues barrières horaires, marre de m’infliger tout ça. Je me sens en danger avec mon propre corps, il ne répond pas comme d’habitude. C’est vraiment particulier. J’ai mal partout. J’ai juste envie de m’allonger et d’arrêter de bouger.




Faustine fait tout ce qu’elle peut pour me remobiliser, elle me bouscule et cherche à me faire réagir mais rien n’y fait. Les leviers habituels sont inefficaces. Je n’ai jamais été comme ça. Je finis par m’endormir sous le regard inquiet de Faustine. Deux coureurs qui passent me réveillent en discutant avec elle. Je décide de repartir avec eux. Un petit bisou et direction le fameux Pic de la Soucarrane, passage aérien et mythique de la course. C’est sans doute l’un des passages les plus techniques. Le duo a du mal dans les parties aériennes, je reste derrière et j’en profite pour récupérer et admirer la vue.


Après le sommet, je n’arrive pas à prendre une décision objective...


"alors je fais un choix qui me semble logique : je donne tout, et si j’arrive avec 1h d’avance sur la barrière horaire, je me refais une santé et je repars. Sinon, c’est terminé ; mon corps ne tiendra pas le rythme"

Je n’ai mal nul part mais je suis sans énergie et surtout, sans envie… Cette décision me fait du bien et je prends même beaucoup de plaisir dans les derniers kilomètres de descente. Je croise d’abord mon père, qui suit ma trace, puis Faustine et Maureen, qui n’arrivent pas à s’accrocher à mon rythme. Un peu plus loin, je dépasse deux coureurs et c’est mon père qui reste en arrière. Je rejoins Clément quelques centaines de mètres plus bas et il restera dans mes pas jusqu’à la base de vie.

J’ai encore du jus dans les jambes à priori mais la tête a pris sa décision. En résumé, le chemin jusqu’au col n’a été qu’un long calvaire mais j’ai pu profiter des sommets et je me suis bien refait une santé après le col de la Gardelle.

 

Ravito 6 (SOULCEM BV2)

Toute la famille est là. Les bénévoles essayent de me remobiliser. J’ai 40 minutes d’avance sur la barrière horaire, 2h10 sur l’an dernier. Je suis certain d’arrêter mais mon frère et ma sœur me prennent en main… J’ai envie de pleurer, j’ai tellement l’impression que je vais les décevoir mais je suis au bout du rouleau, je n’ai plus la force mentale. Cela fait trop longtemps que je lutte contre moi-même, contre les barrières horaires. J’ai 45 minutes de retard sur mon plan de course ; à ce stade, cela peut signifier que je risque de sauter à la prochaine barrière. Ce sera mon nouveau pire souvenir en trail, avoir montré ce visage, cette non-volonté à mes amis et ma famille… Je n’avais jamais connu ça, une telle démobilisation de chaque cellule de mon corps. Je ne me reconnais pas, je suis spectateur d’un état d’abandon et je ne peux rien y changer. Je suis persuadé de me mettre en danger et je n’ai aucune volonté de me faire violence. Mon frère ne me laisse pas le temps de réfléchir ni de parler, il prend les choses en main. Il me contredit et demande à l’équipe de préparer le sac. « si, si, il va repartir ». Il m’interdit de continuer à verbaliser des choses négatives et me remobilise. Ma sœur est là aussi et active plusieurs leviers mentaux. Ils me connaissent bien et je finis par donner ma montre pour une recharge. Je n’ai rien dis mais ma décision est prise.

"En repartant je supplie presque ma sœur de me laisser arrêter, mes jambes ne me portent plus…"

Clément et Ludo m’accompagnent. Les larmes coulent derrière mes lunettes de soleil. Sur le moment, je ne prends aucun plaisir. Avec le recul, ce partage avec mon frère est incroyable : il ne fait jamais de sport et se dépasse pour me soutenir. C’est incroyable, je regrette de ne pas en avoir plus profité. Entre Crouts et Soulcem 2, ce sont 83 coureurs qui abandonnent. Une vraie hécatombe. J’aurais dû être parmi eux, je ne remercierai jamais suffisamment mes proches car jamais je n’aurais pu me regarder en face si j’avais abandonné là.

 



Trajet vers le Ravito 7 (refuge du Pinet)

Direction les sommets à plus de 3000 m… Clément a fait demi-tour, il court le 120 km du GRP dans une semaine, il doit s’économiser. Ludo m’a suivi plusieurs centaines de mètres plus loin. Il a attendu que j’aille mieux et que je prenne ma décision. Je serai finisher ! Une année d’entraînement et de sacrifices pour abandonner à ce stade de la course ? Mais qu’est-ce qui m’est passé par la tête, qu’est-ce qui m’a pris ?

Je me fais rattraper par le serre-file et deux autres coureurs. C’est à nous quatre qu’on apprend qu’un orage approche et qu’ils ont déjà fermé et déséquipé l’un des sommets à 3000 m (c’était un passage ou il fallait s’encorder). La radio du serre-file ne fonctionne pas correctement, on reçoit mais on ne peut pas émettre. La balise GPS ne fonctionne pas non plus… Les échanges sur les ondes deviennent agités et je dois avouer que ce n’est pas rassurant. Entre les évacuations en hélicoptère, les rapports des médecins sur diverses chutes, et les infos sur l’orage… L’organisation s’inquiète de notre lente progression. Je vais bien, mais je ne peux pas aller plus vite. Un bénévole de la région arrive en courant pour nous presser. L’orage se rapproche, nous pourrions être en danger et les bénévoles qui nous attendent au col aussi. Je me souviendrai toujours des consignes du PC course : « Évacuez les crêtes, radios éteintes au fond des sacs, vous ne nous contactez qu’en cas d’urgence. Prenez soin de vous ». … Merde… ce n’est pas encore cette année que je verrai le sommet du Montcalm…

Je peine jusqu’au col, puis nous empruntons l’itinéraire tertiaire, dont une partie n’est pas balisée. Nous sommes quatre coureurs dans cette situation. Je suis en meilleure forme que mes compagnons en descente, mais je dois rester avec eux pour éviter de me perdre. Il pleut assez fort par intermittence, il y a beaucoup de brouillard et j’entends l’orage au loin. Il faut continuer à avancer.

 

Ravito 7 (refuge du Pinet) :

38h20 de course. Au refuge du Pinet, le plan de course n’a plus aucun sens à cause des détours.

Nous avons parcouru le bon nombre de kilomètres, mais il nous manque du dénivelé positif et négatif, et surtout les portions techniques des sommets.

"Une bénévole nous informe que l’organisation nous considère comme hors course pour des raisons météorologiques"

Un des coureurs choisit de rester au Pinet pour la nuit et de repartir demain matin car il a trop mal aux pieds. Les deux autres décident de continuer jusqu’à Artigues, accessible en voiture, puis de s’arrêter. Je suis le seul à vouloir continuer ; la bénévole me dit qu’il faudra voir à Artigues, mais que si j’arrive avant la barrière horaire et qu’il reste des coureurs, il ne devrait pas y avoir de problème. Il est 19h30 lorsque nous arrivons au refuge du Pinet et nous repartons vers 20h. Toutes les prises d’informations et décisions ont pris un peu de temps mais au moins  j’ai eu le temps de bien me restaurer.

 

Trajet vers le Ravito 8 (Artigues):

Il y a beaucoup de brume et la pluie continue de tomber par intermittence. Le sol est glissant et l’un des coureurs glisse très régulièrement. Je commence la descente avec le groupe (une femme médecin et un infirmier profitent du convoi du serre-file pour redescendre) mais rapidement, ils me conseillent de prendre mon rythme si je veux pouvoir continuer.

Je prends de l’avance et me rends compte que je descends encore vraiment bien. Je fais un calcul rapide dans ma tête et conclus que je peux être à Artigues vers 21h30 sans forcer. La barrière horaire est à 23h, ce qui me laisse le temps de dormir et de manger avant de repartir. Je suis « frais », j’ai le sourire aux lèvres. Les jambes sont au top et la tête aussi. Je vais enfin être finisher. Pas du parcours complet mais ça, je n’y peux rien. Derrière Artigues, il ne restera « que » 24.6 km, 1935 m D+ et 2300 m D-, avec 13h pour les couvrir. Je sifflote presque en calculant tout ça ! Le temps se dégage un peu, et j’aperçois mon père et Faustine qui sont montés vers moi. Je termine la descente avec eux mais les nouvelles sont mauvaises. D’après eux, je suis hors course et c’est non négociable. Je ne comprends pas vraiment. Généralement, quand il y a des mauvaises conditions météo ils font passer par un autre itinéraire et font un classement à part. Ils doivent se tromper, c’est impossible.

 

Ravito 8 (Artigues) : 40h07 de course (84km et 8 660 D+ / 8250 D-)

En arrivant à Artigues, il reste 3 coureurs qui dorment encore et vont repartir. Je me renseigne auprès de la responsable du poste. Elle ne sait pas et se renseigne… C’est confirmé, je dois m’arrêter. Ils ont appliqué une pénalité de temps à ceux n’ayant pas fait les sommets à cause de l’orage, avec cette pénalité, je suis hors délais. Sur le moment, je me dis que, seul, j’aurais abandonné à Soulcem 2 et que l’histoire aurait pu être plus amère mais en réalité, je ne comprends pas. Il reste des coureurs dans le ravito, pourquoi ne pas me laisser terminer alors que je suis encore dans les délais ? Je ne suis pas suffisamment frais pour argumenter et je baisse trop rapidement les bras, direction la famille pour prendre du réconfort et les remercier !

 

Fin du game !!!



 

Une conclusion à cette aventure ?


Une énorme fracture de mentale qui aurait pu me coûter cher et longtemps sur le plan mental. Ne lâchez jamais rien, avoir des bas c’est normal en trail ! Sans ce passage à vide de plus de 12h, je n’aurais pas été dans les 4 derniers et j’aurais pu accéder à l’itinéraire bis et peut être, être finisher. Avec le recul, je comprends mieux la décision de m’éliminer. J’ai contacté les organisateurs pour en savoir plus car la frustration était trop grande. Lors de mon passage sur l’itinéraire tertiaire, ils ont estimé qu’il était impossible que je rejoigne Artigues dans les temps si j’avais emprunté l’itinéraire principal. La seule chose que je peux reprocher c’est de ne pas avoir communiqué. Au moment de la prise de décision il est environ 15h30 (soit 7h30 avant la prochaine BH), une simple phrase du genre « on passe sur l’itinéraire tertiaire donc si vous arrivez après 20h à l’Artigue vous êtes éliminé (à la place de 23h). J’aurais géré ma course différemment et j’aurais au moins pu essayer de me battre.



J’aimerai remercier tous ceux qui m’ont soutenu, sans qui cette épopée n’aurait jamais été la même. Merci à la Team Conviviatrail, merci aux amis, proches et sympathisants qui m’ont soutenu via les réseaux. À ma mère, merci d’avoir fait taire tes peurs et de m’avoir félicité au moment au j’étais le moins fier de moi (départ de Soulcem2). A mon père, merci pour ta débauche d’énergie et ta joie d’être présent à chaque instant. A ma sœur et mon frère, sans qui je ne serais jamais reparti de Soulcem2, voir de la fierté dans vos yeux est un moteur permanent à mes aventures. A ma belle-sœur, qui a éclairé certains ravitos par son sourire permanent. À Clément et Maureen, pour leur soutien constant tout au long de l’année et le jour de la course. Enfin, à Faustine, qui a partagé avec moi un moment très difficile de la course, ta patience et ton amour m’ont maintenu à flots pour continuer d’avancer…

Vous avez tous été les piliers de cette aventure et même si cette fois-ci l’histoire ne s’est pas terminée comme je l’aurais souhaité, je sais que par moment je suis allé au bout de moi-même grâce à vous.

Merci, du fond du coeur et à très vite pour de nouvelles aventures!




Cette année, la PICaPICA aura confirmé son statut de course redoutable avec près de 50% d'abandon.


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1 commentaire


Olivier Piquer
Olivier Piquer
02 sept.

Bravo coach! Super expérience !

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